La Revue Française de Psychanalyse

Freud dans le texte

Freud dans le texte

« INTERPRÉTER ! VOILÀ UN VILAIN MOT. »

La question de l’analyse profane (1926) se présente sous la forme d’entretiens avec un interlocuteur impartial, comme le précise le sous-titre de l’œuvre. Puisqu’il s’agit pour Freud, dans ce texte, de défendre l’exercice de la psychanalyse par des non-médecins, ce que « profane » veut dire, c’est la nature de l’analyse, la méthode elle-même qui se trouve en jeu. Encore et toujours, Freud doit donc préciser en quoi consiste « l’art de l’interprétation » et le démarquer de la suggestion, de l’arbitraire comme de l’application pure et simple d’une formule.

[On fera] l’hypothèse que les communications et les idées incidentes du malade ne sont que des déformations de ce qui est recherché, pour ainsi dire des allusions, à partir desquelles vous avez à deviner ce qui se cache derrière. En un mot, il vous faut commencer par interpréter ce matériel, qu’il s’agisse de souvenirs, d’idées incidentes ou de rêves. Cela se fait naturellement en ne perdant pas de vue les attentes qui, pendant que vous écoutiez, se sont formées en vous grâce à vos connaissances de la chose.
« Interpréter ! Voilà un vilain mot. Je n’aime pas vous entendre parler ainsi, vous m’ôtez toute certitude. Si tout dépend de mon interprétation, qui me garantit que j’interprète correctement ? Tout n’est-il pas alors livré à mon arbitraire? »
Tout doux, ce n’est pas si grave. Pourquoi voulez-vous que vos propres processus animiques fassent exception aux lois que vous reconnaissez pour ceux des autres ? Quand vous aurez acquis une certaine autodiscipline et que vous disposerez de connaissances déterminées, vos interprétations ne seront pas sous l’influence de vos particularités personnelles et elles toucheront juste. Je ne dis pas que pour cette partie de la tâche la personnalité de l’analyste est indifférente. Il entre en ligne de compte une certaine finesse d’oreille pour le refoulé inconscient que tous ne possèdent pas dans la même mesure. Et avant tout, se rattache à cela l’obligation pour l’analyste de se rendre apte, par une analyse personnelle approfondie, à une réception sans préjugés du matériel analytique. Certes, il reste encore quelque chose d’assimilable à l’« équation personnelle » dans les observations astronomiques ; ce facteur individuel jouera toujours un rôle plus grand en psychanalyse que partout ailleurs. […]
Même dans l’art de l’interprétation propre à l’analyse, il y a bien des choses à apprendre, comme s’il s’agissait d’une autre branche du savoir, par exemple tout ce qui est en corrélation avec la présentation indirecte bien spéciale qui est celle des symboles. […]
Vous remarquerez qu’une longue formation à l’école et une longue pratique [sont] encore requises. Quand vous avez trouvé les bonnes interprétations, une nouvelle tâche s’impose. Il vous faut attendre le bon moment pour communiquer votre interprétation au patient avec quelque chance de succès.
« À quoi reconnaît-on chaque fois le bon moment ? »
C’est question de flair, un flair qui peut être considérablement affiné par l’expérience. Vous commettez une faute grave si, dans vos efforts pour abréger l’analyse, vous jetez vos interprétations à la tête du patient dès que vous les avez trouvées. Vous obtenez par là, chez lui, des manifestations de résistance, de récusation, d’indignation, mais vous ne parvenez pas à ce que son moi s’empare du refoulé. Le précepte, c’est d’attendre qu’il en soit suffisamment approché pour que, sous la conduite de l’interprétation que vous proposez, il n’ait plus que quelques pas à faire.

La question de l’analyse profane, trad. fr. J. Altounian, Paris, Gallimard ; OCF.P, XVIII, 1994, p. 43-45.