La Revue Française de Psychanalyse

86-3 Résumés des articles

86-3 Résumés des articles

THÈME : ESPÉRANCE

Jean Greisch – Pouvoir espérer : l’espérance par-delà l’espoir et le désespoir

RÉSUMÉ – Au même titre que l’angoisse, la peur ou la joie, l’espoir est un phénomène anthropologique fondamental qui se caractérise par son ambivalence foncière. Plus d’une fois, les forces antagonistes de l’espoir et de la peur nous tirent à hue et à dia, provoquant un déséquilibre qui entrave la puissance d’agir du moi. D’Hésiode, jusqu’à Nietzsche, en passant par Héraclite (les hommes « espèrent à la folie ») et Spinoza, l’espérance fut souvent soupçonnée d’être un mal plutôt qu’un bien. On n’oubliera pas pour autant que le « soleil noir de la mélancolie » peut transformer l’existence en un désert stérile, où ne circulent plus d’autres paroles que le lamento interminable de la plainte. D’où l’importance cosmopolitique, anthropologique et clinique de la question kantienne : « Que m’est-il permis d’espérer ? » qu’il faut relancer à nouveaux frais dans les temps sombres que nous vivons aujourd’hui. Cela revient notamment à se demander sous quelles conditions la vie elle-même peut être regardée comme une promesse, et quelles sont les ressources d’une espérance enfouies au plus profond de nous, en apercevant devant soi son enfance et derrière soi sa mort ?

MOTS-CLÉS – espoir, espérance, ambivalence, eschatologie.

François Duparc – Métapsychologie de l’espérance, ou quand la pulsion tient la route

RÉSUMÉ – Espérance ou espoir ? L’espoir est comme une étincelle, qui peut vite s’éteindre, alors que l’espérance est une tension du désir, qui inclut le temps de l’avenir. On peut parcourir ainsi l’œuvre de Freud en repérant ce qui permet, dans le fantasme ou dans le rêve, d’espérer accomplir le désir, en l’accordant à la réalité extérieure. Ou comprendre comment les représentations d’objet peuvent peu à peu contenir la décharge de l’excitation, puis de la pulsion, selon leur niveau topique. Les instances idéales, surmoi et idéal du moi, sont aussi impliquées comme héritage de l’Œdipe afin de contenir le narcissisme du moi-idéal primitif. Les buts de la psychanalyse sont une source d’espérance pour nos patients, lorsqu’ils peuvent accepter le temps nécessaire à une évolution qui ne peut être magique, mais soutenue par le transfert. Afin de combattre les visions négatives de l’amour (Éros, pour suivre Freud) dans notre société tentée par la décroissance, la fin de l’amour, l’idéologie simplificatrice ou terroriste.

MOTS-CLÉS – espérance, buts de l’analyse, surmoi, idéal du moi, idéologies, sublimation, Éros.

Daniel Rosé – L’espérance ou le deuil de l’espoir

RÉSUMÉ – L’auteur interroge la pertinence d’utiliser indifféremment espoir et espérance en montrant comment l’espoir peut souvent être une défense et, à l’inverse, comment l’espérance peut être une paradoxale expérience au cœur du désespoir. On peut ainsi opposer les désespérés manifestes et les espérants invétérés dont l’évolution est parfois à fronts renversés. Le travail de deuil est revisité en insistant, plus qu’à l’habitude, sur ses vicissitudes. Cela conduit à interroger à nouveaux frais la métapsychologie freudienne, particulièrement dans sa version aux accents déterministes : on est alors contraint d’entrevoir d’autres modèles issus des sciences non newtoniennes.
L’aléatoire, ainsi pris en compte, redéfinit la place d’une certaine liberté dans le colloque singulier entre patient et psychanalyste.

MOTS-CLÉS – aléatoire, masochisme, métapsychologie, toute-puissance, travail de deuil.

Guy Lavallée – Espérance et négativité

RÉSUMÉ – À partir de l’exposé d’une clinique du négatif diversifiée, de l’adolescent suicidaire aux problématiques du grand âge, l’auteur élabore une ligne théorique qui rend compte de l’espérance. Cette dernière se situe au-delà des contenus idéiques de l’espoir, elle est le fruit d’une matrice énergétique hallucinatoire qui permet une illusion vitale : les retrouvailles dans le futur avec l’objet perdu de la satisfaction. Les patients qui survivent dans des logiques négatives et des liens négatifs peuvent reconstruire une telle matrice énergétique dans « l’amour sauvage de transfert », force subversive qui en permet la mise au travail ; la matrice énergétique peut dès lors réintriquer l’hallucinatoire négatif de mort et positif de vie. La pulsion de vie : lier, investir, espérer, aimer gagne du terrain sur l’entropie autodestructrice, l’espérance peut dès lors devenir la toile de fond de l’existence. Pour construire sa métathéorie l’auteur s’étaye sur la pensée freudienne et post freudienne : Bion, Winnicott, Green, Donnet, Fain… et sur ses travaux antérieurs.

MOTS-CLÉS – espérance, hallucinatoire positif et négatif, négativité, matrice énergétique, amour de transfert.

Jacques Arènes – Filiation, travail d’espérance et fabrique du temps

RÉSUMÉ – L’article analyse – dans le registre d’une anthropologie culturelle informée par la phénoménologie – la manière dont l’inscription du sujet dans la temporalité (la temporalisation) prend aujourd’hui un tour inédit, dans lequel le rapport à la décision et la pensée du futur sont en crise. Est alors mise en valeur la notion d’espérance en tant qu’elle peut faire l’objet d’un « travail » d’attente et de signification accompagnant la temporalisation. Le champ de la filiation constitue alors un domaine essentiel dans lequel s’exprime ce passage contemporain d’une pensée de l’originaire à un difficile exercice d’ouverture des possibles. Sont exposés enfin les enjeux théorico-cliniques d’une approche inventive de la temporalité en situation de cure, quand les problématiques de filiation et d’« usure » de la transmission affaiblissent la « fabrique » du temps.

MOTS-CLÉS – Chronos, filiation, kairos, krisis, temporalisation, travail d’espérance.

Johanna Velt – La vie devant soi : espérance et transfert de base

RÉSUMÉ – À travers le cas d’une jeune femme présentant des troubles dépressifs et du comportement alimentaire, l’auteure souhaite montrer comment l’espérance suscitée par la rencontre avec son analyste a favorisé l’instauration d’un véritable processus de cure analytique. L’auteure postule que c’est le transfert de base qui a été décisif non seulement pour l’investissement de la personne de l’analyste, mais aussi du processus analytique, en permettant la création d’une aire d’illusion, qui n’avait pas été possible jusqu’à présent. Un agir de parole de l’analyste résonne comme une séduction d’offre d’analyse pour le couple analytique. Sa fonction de pare-excitation permet à l’analyste de prendre en compte des aspects très régressifs, affectifs et pré-verbaux, et par là même de favoriser la névrose de transfert. Loin d’entretenir une toute-puissance illusoire, la cure permet à la patiente d’opérer deuils et renoncements. L’attente croyante est abordée à travers divers auteurs (Freud, Grunberger, Vila).

MOTS-CLÉS – transfert, transfert de base, illusion, narcissisme, dépression.

Sabine Sportouch – L’espérance, folle confiance, persévérance

RESUMÉ – L’espoir est désir de quelque chose de meilleur. L’espérance, elle, est anobjectale. Elle est pulsion de vie. L’espoir peut être déçu, mais pas l’espérance puisqu’elle n’est attente de rien. Immortelle dans sa ténacité, elle ne meurt pas avec l’échec. Folle confiance, persévérance, elle abolit le temps et jamais ne renonce. Violente, tragique, elle replace l’humain dans l’attente, sur fond de finitude. En son espace, peut se déployer une rêverie réparatrice. Elle est à penser comme une force au travail dessinant les contours d’une rencontre avec un objet à investir, point d’orgue d’une nécessité à demeurer présent sans se dérober, à être là pour entendre l’impuissance, accepter de la partager, pour s’identifier à la colère et à la rage. Au travers de situations issues des soins critiques et du handicap, l’auteur propose d’explorer l’hypothèse d’une pulsion d’espérance face à l’urgence somatique, définissant un espace limite, théâtre d’« une communion douloureuse, tout humaine et fragile ».

MOTS-CLÉS – situations extrêmes, soins critiques, handicap, détresse, angoisse de mort, pulsion d’espérance.

Anne Boisseuil – L’espérance, un destin de la confiance ?

RESUMÉ – L’article propose d’explorer le surgissement de l’espérance comme une potentialité contenue dans la confiance établie précocement entre le bébé et son environnement. L’espérance émergerait comme un destin possible et un au-delà de cette confiance, supposant que les processus primaires de symbolisation puissent être mobilisables, dans le transfert notamment. Le vécu de confiance primaire serait caractérisé par la création de moments présents issus d’une dynamique particulière de même et double avec l’objet. C’est depuis ce socle que va s’ouvrir l’horizon temporel que représente l’espérance. Les revécus traumatiques dans la cure, interrogés ici à partir du cas clinique d’une patiente en exil, peuvent amener une retraversée de la trahison de la confiance primaire permettant de faire surgir, au sein même de ce processus de désillusion, un mouvement psychique vers l’altérité de l’espérance.

MOTS-CLÉS – traumatisme, désillusion, confiance, processus précoces, exil.

Claire Pagès – Espérance, reconnaissance et confiance

RESUMÉ – Dans le champ social, nous proposons de réfléchir à ce à quoi est adossé l’espérance, soit à l’espoir de reconnaissance – ce qu’Axel Honneth nomme l’élément téléologique de la conception morale impliquée par le concept de reconnaissance. La perte de cet espoir de reconnaissance, qui tient à un idéal davantage qu’à une réalité, constitue du point de vue de la psychodynamique du travail l’un des principaux facteurs de découragement chez les travailleurs. Quand cet espoir les quitte, ceux-ci seraient, note Christophe Dejours, comme « désamorcés » (La Panne). Pour approfondir les conditions psychosociales de cette espérance, Jean Furtos nous semble proposer des éléments de réflexion précieux, en identifiant une triple forme de confiance à l’origine de la santé mentale (confiance dans l’avenir, confiance dans les autres et confiance en soi). C’est enfin du côté des recherches de Laurence Cornu sur la confiance dans le cadre de la relation pédagogique que nous pensons pouvoir trouver des ressources pour défendre l’importance aujourd’hui de la notion d’espérance en dépit des critiques philosophiques qui en ont miné les fondements. Ses analyses nous permettent en effet de mieux cerner, dans sa fragilité, la forme d’espérance que nous nommons avec elle confiance, dont la clinique, la pratique et la théorie ne peuvent se passer.

MOTS-CLÉS – espérance, reconnaissance, confiance, incrédulité, avenir.

DOSSIER : L’OPPOSITION TRAUMA-PULSION. UN ESSAI DE ILSE GRUBRICH-SIMITIS

Ilse Grubrich-Simitis – Trauma ou pulsion – pulsion et trauma. Leçons à partir de la « fantaisie phylogénétique » écrite par Sigmund Freud en 1915

RÉSUMÉ – L’auteur a découvert en 1983 l’ébauche du douzième essai métapsychologique perdu de Sigmund Freud, « Aperçu des névroses de transfert », et l’a publié pour la première fois en 1985. Dans le présent article, elle se penche sur la deuxième partie de cette ébauche, un texte spéculatif sous forme de « fantaisie phylogénétique ». En 1915, les événements extrêmement traumatisants de la Première Guerre mondiale avaient incité Freud à revenir à des thèmes fondamentaux de l’époque pionnière où il avait développé le modèle de la pulsion – théorie étiologique proprement psychanalytique – à partir du modèle du traumatisme, de la théorie de la séduction. Le modèle traumatique était le modèle le plus conventionnel. Il ne concernait que les personnes traumatisées et soulignait une opposition claire entre santé mentale et psychopathologie. En revanche, le scandale du modèle pulsionnel révolutionnaire était qu’il traitait de nous tous, de la réalité de nos désirs infantiles archaïques, de l’inéluctabilité de notre nature pulsionnelle ancrée dans le corps, de notre structure psychique à tous, menacée tout au long de notre vie. Freud a toujours considéré l’accent mis sur les facteurs traumatiques comme une tendance à abandonner le modèle pulsionnel révolutionnaire. Nous montrerons comment, dans cette fantaisie phylogénétique, il tente d’intégrer au modèle pulsionnel les facteurs traumatiques de la pathogenèse, dont l’action est tout aussi indiscutable – donc non plus traumatisme ou pulsion, mais pulsion et traumatisme. Toutefois, dans son imagination phylogénétique, il situe ces moments traumatiques dans le temps, à l’époque où les changements climatiques de l’ère glaciaire ainsi que des actions sociales violentes submergeaient nos ancêtres et laissaient des traces transmises de génération en génération dans leur substrat corporel. Freud a lui-même rejeté cette tentative. Cependant, ce document néo-lamarckien sur cet échec n’a pas pour nous aujourd’hui seulement un intérêt historique, mais aussi un intérêt tout à fait actuel.

MOTS-CLÉS – pulsion, trauma, phylogenèse, préhistoire, Freud.

RUBRIQUES

Histoire de la psychanalyse

Francois Sirois – Freud et Brentano

RÉSUMÉ – Cette note discute de la nature des rapports entre Freud et Brentano, et de l’influence possible du philosophe sur le développement de la pensée ultérieure de Freud. L’évidence historique, directement liée aux documents, montre un intérêt soutenu de Freud envers Brentano à la période de ses études universitaires. La destruction de ses documents en 1885 semble avoir effacé toute autre trace. Contrairement aux autres appuis intellectuels de Freud, Brentano, comme Maudsley, semble avoir été effacé dans le parcours ultérieur de Freud. L’évidence indirecte, liée à l’adoption par Freud de certaines propositions de Brentano dans son livre Psychologie du point de vue empirique (1874), est élaborée selon deux aspects : le mode d’approche empirique de l’objet psychique et la nature spécifique de cet objet. L’influence la plus sensible se trouve du côté de l’adoption de la voie du langage, aux plans technique et théorique, pour explorer les transformations liées au travail psychique. C’est d’ailleurs là où se trouve la seule mention de Brentano par Freud, en 1905, dans son œuvre ultérieure.

MOTS-CLÉS – Brentano, représentation, intentionnalité, approche empirique, langage, acte psychique.

Clinique psychanalytique et mythologie

Kostas Nassikas – La nostalgie : berceuse ou berceau du moi ?

RÉSUMÉ – Commençant avec des fragments de L’Odyssée, l’auteur porte l’accent sur le fait que, chez Homère, le « nostimon imar » (délicieux jour du retour) l’emporte sur l’« algie » du « nostos » (retour). Constatant le rétrécissement que le terme, médicalement fabriqué, de nostalgie a produit sur le « nostimon imar », l’auteur approfondit ce désir de retrouvailles du moi avec les origines de ses désirs plus qu’avec l’objet perdu, alors que cette « berceuse du moi » commence avec l’autoérotisme du bébé. Une place est faite, par la suite, à l’« algie » (douleur) non pas dans la nostalgie, mais dans la constitution du « berceau du moi », qui serait le moi-corps. La notion du « chez soi », but du « nostos », est questionnée vers la fin du texte ; ce « chez soi » ne serait pas spatial ni sémiotique (langue maternelle, etc.), mais il ferait partie du mouvement propre du devenir du moi dans la reprise de la réalisation de ses idéaux, de ses désirs et de ses sublimations.

MOTS-CLÉS – nostalgie, Nostimon imar, berceuse du moi, berceau du moi, « chez-soi ».