La Revue Française de Psychanalyse

Benno Rosenberg « Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie » [extraits]

Benno Rosenberg « Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie » [extraits]

Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie, Paris, Puf, « Monographies ed la Revue française de psychanalyse », 1991
[…]

Il nous reste à examiner plus précisément deux choses : d’une part, le rôle que joue, malgré tout, la culpabilité dans ce processus ; d’autre part le produit de la transformation du sadisme sous l’influence d’une culpabilité non érotisée, non sexualisée.

Il nous faut donc revenir, je crois, à l’un des textes fondamentaux sur le sadisme et le masochisme dans « Pulsions et destins des pulsions » : « Pour le couple d’opposés sadisme-masochisme, on peut représenter le processus de la manière suivante :

« a) le sadisme consiste en une activité de violence, une manifestation de puissance à l’encontre d’une autre personne prise comme objet ;

« b) cet objet est abandonné et remplacé par la personne propre. En même temps que le retournement sur la personne propre s’accomplit une transformation du but pulsionnel actif en but passif ;

« c) de nouveau est cherchée comme objet une personne étrangère, qui, en raison de la transformation de but intervenue, doit assumer le rôle du sujet.

« Le cas (c) est ce qu’on appelle communément masochisme[1]. »

Ainsi donc, c’est seulement au point (c), avec le rétablissement de la distinction sujet-objet, qu’il s’agit du masochisme. Ce qui nous intéresse là c’est que d’après le point (b) le sadisme retourné sur la personne propre n’est pas le masochisme. Nous croyons que c’est là le lieu spécifique de la culpabilité et l’influence spécifique de celle-ci sur le sadisme.

Ce lieu spécifique, cette influence spécifique est l’auto-sadisme (le sadisme réfléchi). Ce qui suit les quelques lignes citées dans « Pulsions et destins des pulsions » nous semble justifier ce lien spécifique entre auto-sadisme et culpabilité. Freud montre bien que dans la névrose obsessionnelle (le rôle que la culpabilité joue dans celle-ci est bien connu) nous avons affaire à un auto-sadisme et à une auto-punition, mais sans masochisme : « L’hypothèse du stade (b) n’est pas superflue si on la rapporte au comportement de la pulsion sadique dans la névrose obsessionnelle. On y trouve le retournement sur la personne propre sans qu’il y ait passivité vis-à-vis d’une autre personne. La transformation ne va pas au-delà du stade (b). Le besoin de tourmenter devient tourment infligé à soi-même, auto­punition et non masochisme[2]» Ainsi le lien spécifique entre auto-sadisme et culpabilité peut être reformulé en disant que l’auto-sadisme, c’est l’auto-punition.

[…]

L’auto-punition est la culpabilité en tant que punition par le Surmoi propre appartenant à l’appareil psychique du sujet, alors que le masochisme est une punition infligée par le père œdipien, une hétéro-punition. L’on peut dire, plus simplement, que la culpabilité c’est l’auto-punition et que l’auto-punition, c’est l’auto-sadisme, tous deux distincts du masochisme moral et de tout masochisme, d’ailleurs. Les textes que nous avons cités (cf. la première partie), qui distinguaient entre le sadisme du Surmoi et le masochisme du Moi, prennent un sens où le sadisme est autre chose qu’une métaphore venant souligner la sévérité du Surmoi. Le sadisme du Surmoi fait partie intégrante de la culpabilité dans cette équation culpabilité = auto-punition = auto-sadisme.

B – L’auto-sadisme ou le rôle du masochisme dans la genèse de la culpabilité

Jusque-là il s’agissait de culpabilité dans un sens qui est lié au Surmoi œdipien ou plutôt postœdipien. Mais nous savons bien qu’il y a une culpabilité prégénitale qui correspond probablement à la culpabilité que nous trouvons chez les psychotiques, sans qu’elle soit bien entendu exactement la même.

À propos de cette culpabilité prégénitale, ancêtre de la culpabilité œdipienne, il est naturel, croyons-nous, que nous nous posions la même question concernant ses relations avec le masochisme-sadisme. Cette question est, ou devient en fait, celle du rôle joué par le masochisme-sadisme dans la genèse de la culpabilité : il est évident qu’à ce niveau ce n’est plus la culpabilité qui crée ou contribue à créer le masochisme (cf. plus haut), ce dernier étant indubitablement premier contemporain des premières ébauches de la constitution du Moi. S’il y a donc relation causale entre les deux, elle va du masochisme à la culpabilité prégénitale.

Nous pouvons aborder le problème autrement encore en partant de ce que nous avons pu établir, c’est-à-dire de la concordance entre culpabilité et auto­sadisme. Nous avons vu que la culpabilité provoque le retournement du sadisme sur la personne propre, qu’elle entraîne l’auto-sadisme : ne peut-on faire l’hypothèse que génétiquement, dans l’histoire ou plutôt la préhistoire de l’appareil psychique, c’est l’inverse qui se produit, c’est-à-dire que c’est le retournement du sadisme sur la personne propre (l’auto-sadisme) qui est le point de départ de la culpabilité ?

Benno Rosenberg (1999). Masochisme mortifère et masochisme gardien de la vie. Paris, Puf, « Monographies de la Revue française de psychanalyse ».

[1] S. Freud. Pulsions et destins des pulsions. Métapsychologie. Paris, Gallimard, 1968, p. 26-28. Souligné par moi.

[2] Ibid.