La Revue Française de Psychanalyse

Entretien avec Samuel LEPASTIER

Entretien avec Samuel LEPASTIER

Rfp : Dans votre article publié dans le numéro de la Rfp consacré à l’hystérie (2024-1), vous développez l’idée originale selon laquelle la situation analytique peut être comprise comme la dernière phase de la grande crise de Charcot, celle résolutive de la parole couchée. Pourriez-vous nous dire comment vous en êtes arrivé à ce postulat ?

Samuel Lepastier : Quelques explications préalables sont nécessaires. Les signes cliniques de l’hystérie restent semblables à eux-mêmes dans le temps et dans l’espace aussi bien pour ceux d’apparence somatique que pour ceux dont le contenu psychique est plus immédiatement perceptible. Jusqu’au deuxième tiers du XVIIIe siècle, la description se limitait à celle des attaques. Pour les médecins de l’Antiquité, lorsqu’une femme avait été privée contre son gré de relations sexuelles satisfaisantes, son utérus tel un animal affamé remontait dans tout le corps jusqu’à atteindre la gorge où il bloquait la respiration, et ses déplacements expliquaient les différents signes cliniques observés. Dans les cas les plus heureux, la crise se terminait par un éternuement assurant ainsi une « évacuation du stress ». Quand les troubles se prolongeaient, le traitement consistait à amener l’utérus à réintégrer son emplacement naturel. Il reste un implicite dans la description de la « suffocation de la matrice ». Si Hippocrate et ses disciples ont pointé la continence forcée des patients, il est logique d’en déduire qu’ils en ont reçu la confidence un moment ou à un autre par la patiente en situation de crise.

À partir du XVIIe siècle, les progrès de l’anatomie obligent à renoncer à l’hypothèse de mouvements de l’utérus. Une théorie alternative est aussitôt proposée, celle des « vapeurs » : les symptômes observés sont alors la conséquence de mouvements « vaporeux », sur le modèle de la circulation sanguine, émis par l’utérus pour remonter jusqu’au cerveau. Nous en avons gardé l’expression : « ça lui est monté à la tête ». Dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, le développement de la méthode anatomo-clinique fait reconnaître l’existence de troubles fonctionnels sans lésion anatomique : ce sont les névroses. À ses débuts, Charcot a tenté de retrouver les lésions anatomiques à l’origine des troubles hystériques. C’est bien pourquoi, malgré sa légende, il a privilégié la recherche sur les symptômes permanents, car il pensait que dans ce contexte les lésions étaient plus facilement repérables. Sa démarche n’a pas abouti et l’hystérie restait pour lui « le sphinx » de la clinique médicale. Il a postulé l’existence de « lésions dynamiques » existant seulement chez le vivant. En même temps, il est revenu aux méthodes de la médecine hippocratique où la crise est attendue parce qu’elle permet à la fois d’assurer le diagnostic par l’accentuation des signes ordinairement plus discrets et qu’en même temps elle détermine le pronostic en fonction de ce qui a pu être évacué à ce moment-là.

Ainsi, la « grande hystérie » de Charcot est bien davantage un modèle théorique permettant de penser l’affection qu’une entité clinique fréquente. Comme l’a relevé Freud, la recherche du « type » de l’affection vise avant tout à décrire une forme complète qui contient toutes les autres. La « grande attaque » se déroule en quatre phases : une « phase tonique » où le patient se raidit, puis vient la « phase clonique » des grands mouvements au cours de laquelle il s’agite progressivement en tous sens ; s’installe alors la phase des « attitudes passionnelles », où le patient mime les événements traumatiques ayant précipité la décompensation. Dans la phase terminale, celle du « délire de mémoire », le sujet tombé à terre semble renaître en racontant dans un discours affecté, les moments traumatiques à l’origine de son état. Pour un observateur, tout se passe comme si l’accès à la parole avait entraîné la disparition des symptômes initiaux. En réalité, la situation est plus complexe puisqu’à une communication par le corps succède l’accès par des mots, en d’autres termes, un système de communication beaucoup plus élaboré qui rend le premier caduc. Malgré les apparences, l’hystérie de conversion est donc bien davantage un prélangage, à distance de l’affect, et non pas un discours.

Rfp : Si la séance d’analyse peut contenir, du fait du cadre qui l’instaure, le temps résolutif du « délire de mémoire », l’usage de la scansion dans l’analyse lacanienne ne renvoie-t-elle pas cette phase de résolution hors de la séance ?

SL : Dans le cadre classique, la parole et les affects du patient en séance sont comparables au « délire de mémoire » qui clôt l’accès hystérique. En revanche, la pratique lacanienne consiste à provoquer une crise en mettant fin à la séance par la scansion. Cela contraint le patient à élaborer à l’extérieur et sans garde-fous, hors de la présence de l’analyste. Cette technique, inspirée par les théories du neurologue Joseph Babinski (1857-1932) sur le pithiatisme, si elle peut amener parfois un authentique processus analytique, a pour inconvénient de rendre plus difficile l’élaboration du transfert et de mettre davantage les patients en danger.

Dès qu’un matériel significatif semble sur le point d’émerger (et c’est pour cela que c’est aussi de l’analyse), au lieu de l’interpréter, on met le patient à la porte et il poursuit la séance tout seul. Il n’y a donc pas de différence entre le dedans et le dehors de la cure. Ainsi, dans nombre d’institutions psychiatriques, le travail d’équipe a été confondu avec une psychanalyse mutuelle, sauvage et permanente. Non seulement le patient peut être mis en grande difficulté, mais le risque d’une analyse sans fin n’est pas négligeable en raison d’une dilution du transfert dont l’élaboration ne peut être effectuée en séance. Charcot, très vénéré de son vivant, a contribué à un dévoilement partiel de l’inconscient à partir de la clinique de l’hystérie. Dans un second temps, et ce n’est pas le seul cas, cela a entraîné un mouvement de résistance très important. Ce rejet préfigure l’attaque subie par Freud un siècle plus tard pour les mêmes raisons : le caractère insupportable de la reconnaissance de l’inconscient pulsionnel. Tous les élèves parisiens de Charcot l’ont rejeté de manière massive et immédiate. À bien des égards, Charcot était semblable à un père primitif régnant sur un peuple de femmes à la Salpêtrière et son histoire a été probablement l’une des sources d’inspiration de Freud pour Totem et tabou.

Le rejet de Charcot a épargné ses élèves provinciaux ou étrangers qui ont conservé intacte leur admiration. Ce qui explique aussi que la psychanalyse ait été mieux accueillie par des charcotiens « périphériques », en particulier par l’École de Bordeaux, issue de la Salpêtrière et ayant inspiré le premier traité français de « psycho-analyse ».

Les théories psychiatriques françaises sur l’hystérie ont également été inspirées par les travaux de Babinski. Pour lui, l’hystérie était davantage située dans la tête du médecin que dans celle du malade. Par conséquent, plus le médecin se détourne du patient, mieux ce dernier se porte. L’hystérie étant provoquée par autosuggestion du patient, le médecin doit lui opposer une contre-suggestion. Babinski ajoute que seule la psychothérapie guérit l’hystérie. Au besoin, celle-ci peut-être « armée », par exemple si le patient se plaignait d’anesthésie, on le faradisait, en d’autres termes, on l’électrocutait pour l’obliger à ressentir la douleur. Babinski a proclamé la disparition de l’hystérie dès le début du XXesiècle. Alors que Pierre Janet avait été rejeté de la Salpêtrière, les techniques de contre-suggestion étaient largement pratiquées dans les hôpitaux et, aujourd’hui encore, elles n’ont pas totalement disparu. Alors qu’il était interne des hôpitaux, le jeune Lacan y a eu recours comme l’atteste sa première publication consacrée à un cas de pithiatisme. De fait, les séances courtes comme la scansion sont des pratiques de contre-suggestion, résumées ainsi par Lacan : « je ne suis pas là quand on m’attend ». La révolution lacanienne est au moins autant un retour à Babinski qu’un retour à Freud.

Rfp : Vous avez soutenu que « la disparition de l’hystérie doit être comprise comme l’expression d’un vœu plutôt que d’une constatation scientifique ». Que recouvre cette expression ?

SL : Dans les articles qu’il a consacrés au pithiatisme, Babinski affirme l’absence de patients hystériques dans les hôpitaux – cette « paléoclinique » ayant été favorisée par les attentes des médecins, Charcot en particulier, qui la cultivait « inconsciemment », ne lui a pas survécu. Donc, évoquer la disparition de l’hystérie, c’est faire référence aux travaux de Babinski, on ne saurait ainsi parler d’une évolution récente. Il est intéressant de relever que si plusieurs s’accordent sur la disparition de l’hystérie, chacun la situe à une date différente. En fait, le plus souvent, les patients hystériques s’adressent à des cliniciens jeunes tout à la fois en raison du souci de les materner que de les dominer. Régulièrement, dans leurs écrits, des cliniciens rendent hommage aux patients hystériques qui leur ont permis de comprendre l’affection. Freud n’a pas fait exception à la règle en reconnaissant sa dette à l’égard d’Anna von Lieben (Z. von K.), cas princeps pourtant non publié en tant que tel dans les Études sur l’hystérie, mais auquel il fait référence à propos d’autres patientes. Freud la reconnaît explicitement comme son maître sur l’hystérie. Il se trouve aussi que l’on rencontre souvent les sujets hystériques dans des conditions atypiques : en urgence, entre deux portes, sans rendez-vous préalable, etc. Dans mes débuts, lors d’une visite en salle de neurologie, il m’a été demandé d’examiner une patiente hospitalisée à la suite d’un rapatriement d’urgence de l’étranger où elle passait des vacances après avoir brusquement perdu connaissance, tout en se raidissant. Après deux jours d’hospitalisation, les neurologues n’avaient trouvé aucun signe de lésion. Je la rencontre dans une salle où il y a quatre patients et elle me dit : « Vous ne me croirez jamais, mais tout a commencé par un rêve » ; et je lui réponds simplement : « Pourquoi ne vous croirais-je pas ? Demain j’aurai un peu plus de temps et on se verra plus longuement, vous pourrez alors m’expliquer. » Le lendemain je la vois et, miracle, elle avait marché ! Tous ses symptômes avaient disparu et tout le monde était stupéfait. J’étais assez fier de moi. Je lui propose une consultation plus approfondie le lendemain avec un enregistrement destiné aux étudiants. Mais lorsque je suis revenu le lendemain matin, elle avait signé une décharge et avait quitté l’hôpital.

Rfp : La patiente avait perçu votre désir ?

SL : Tout à fait. Dans l’hystérie, ce n’est pas l’analyste qui propose des interprétations hasardeuses au patient mais, bien au contraire, ce dernier qui est en quête d’écoute tout en s’inquiétant du réveil possible de l’angoisse, d’où la tendance à la fuite ; ce qui contribue aussi à affirmer la disparition de l’affection. Autre vœu pieux, la psychiatrie athéorique, à l’origine des éditions récentes du DSM, ne tire sa cohérence que de l’exclusion de cette affection car elle postule le caractère objectif de la symptomatologie manifeste. Le grand mérite de Babinski a été de distinguer symptômes objectifs (le signe qu’il a décrit notamment en rapport avec une lésion neurologique) et symptômes subjectifs. La consultation médicale est un marché de dupes. Le patient commence par exprimer des symptômes subjectifs (« je suis mal, je suis fatigué ») et le médecin l’écoute pour repérer des signes objectifs. Alors que dans l’hystérie, et d’ailleurs dans toute la psychopathologie, on n’est jamais que dans l’intersubjectivité. L’erreur épistémologique fondamentale de la psychiatrie athéorique, c’est de considérer équivalents les signes objectifs et signes subjectifs. Ayant conservé une pratique psychiatrique au terme de ma vie professionnelle, je rencontre couramment aujourd’hui des patients qui se plaignent de symptômes que je ne voyais pas au début de ma carrière, et qui, pour certains d’entre eux, n’avaient pas encore été décrits. Par exemple, quotidiennement, de nombreux patients affirment : « je suis dissocié ». Il ne s’agit pas de dissociation schizophrénique, mais des « troubles dissociatifs » au sens du DSM qui renvoient à la théorie de l’hystérie de Pierre Janet. Pour Freud, le symptôme hystérique d’apparence somatique est « conversion » d’une représentation mentale inconciliable dont le refoulement entraîne des « lacunes » du psychisme. Pour Janet, le mécanisme essentiel est la dissociation ; l’événement traumatique est « dissocié » du moi avec constitution d’un groupe psychique séparé. Pour lui, l’hystérie est une forme de dégénérescence qui tend au dédoublement de la personnalité. Janet a rapproché le patient hystérique d’une jeune femme étourdie qui, après avoir fait des courses dans un grand magasin, ne peut s’empêcher de laisser tomber un certain nombre de paquets sur le chemin du retour, incapable de tout porter/penser à la fois. Le « subconscient » n’existe qu’après un traumatisme. Une constatation très intéressante à relever est le fait que de nos jours, si certains n’hésitent pas à annoncer très vite à un patient qu’il est schizophrène, au nom de la vérité, à l’inverse, le diagnostic d’hystérie n’est jamais posé. On pourrait imaginer une formulation du style « trouble ou expression somatique de l’angoisse », mais celle-ci n’est pas non plus formulée. Si les médecins évitent l’hystérie, ce n’est donc pas tant en raison du caractère péjoratif du signifiant, mais bien davantage par ce que l’affection oblige à reconnaître : l’inconscient pulsionnel.

Depuis quelques années, après la dernière édition du DSM, on a mis à l’honneur ce qu’on appelle les TNF [Troubles Neurologiques Fonctionnels], sigle d’allure scientifique et qui couvre une partie du champ de l’hystérie. Mais brusquement, les médecins qui défendent les TNF (que nous continuons d’appeler « hystérie de conversion ») considèrent qu’il s’agit d’une affection fréquente et de mauvais pronostic. Il est absolument extraordinaire qu’une maladie considérée comme disparue sous le nom d’hystérie renaisse sous le nom de TNF pour encombrer aujourd’hui les services de neurologie. De même, comme l’a relevé Christopher Bollas, certains psychanalystes ont tendance à étendre le champ des états-limite comme si ce diagnostic était plus acceptable que celui d’hystérie.

Rfp : Vous en arrivez en effet à la question des distinctions entre l’hystérie et la grande catégorie des états limites ou des pathologies non névrotiques. Certains disent que les patientes décrites par Freud et Breuer dans les Études sur l’hystérie seraient aujourd’hui qualifiées « d’états limites ».

SL : En effet, nous touchons là peut-être à un problème historique. Contrairement à ce qu’on pense, la catégorie des états-frontière existe depuis la fin du XIXe siècle en psychiatrie. Le neurologue Benjamin Ball (1833-1893), premier titulaire de la chaire des maladies mentales à Sainte-Anne, a consacré sa leçon inaugurale aux « états-frontière de la folie ». C’est une question très importante pour les aliénistes qui doivent déterminer à quel moment l’état d’un patient justifie l’internement. D’autre part, si les auteurs anglo-saxons ont peu étudié l’hystérie au XIXe siècle, en revanche, ils se sont intéressés aux borderline cases. C’est pour cela que, dans leur esprit, ils considèrent à tort que l’hystérie est une catégorie psychanalytique. Rappelons-nous que, dès l’Antiquité, les auteurs hippocratiques accordaient à l’hystérie une place centrale dans leur clinique fondée sur l’expectation. On observe le patient lorsqu’il entre en crise ; celle-ci, accentuant des symptômes jusque-là discrets, permet d’assurer le diagnostic comme le pronostic. En somme, la crise produisant un effet de loupe avait une fonction équivalente à celle tenue aujourd’hui par les examens complémentaires. C’est pourquoi la crise est un temps de jugement. Le premier aphorisme d’Hippocrate s’énonce ainsi : « La vie est brève, l’art est long, l’occasion fugitive, l’expérience trompeuse, le jugement incertain ». Ce qui a longtemps guidé la conduite de l’examen médical est devenu en partie caduc en raison des possibilités d’objectivation offertes par les examens complémentaires. En revanche, cet aphorisme n’a rien perdu de son actualité pour l’hystérie, en particulier à l’occasion des mouvements paroxystiques, car la crise donne le sens des troubles. Notre discipline partage avec la littérature et la religion d’être issue d’une élaboration de l’attaque hystérique. C’est donc à juste titre que Michel de M’Uzan évoque le « saisissement créateur » lorsque la muse descend sur le sujet. Il y a bien un moment où quelque chose de l’inconscient se révèle et c’est pour ça d’ailleurs que Freud dit que les écrivains sont en avance sur les psychanalystes ; non pas qu’ils soient des prophètes, mais parce qu’ils réussissent à transformer ce qu’ils ont ressenti, non seulement des affects à la parole, mais aussi des mots aux textes. On peut dire aussi que toutes les religions naissent de paroles prononcées au décours de transe. Si dans les religions du Livre, l’expérience princeps tend à marquer le pas devant des conduites ritualisées, pour les peuples sans écritures, la transe s’intègre à la culture, en devenant une « transe baptisée » pour reprendre une expression utilisée par Roger Bastide. Si l’hystérie revêt une dimension anthropologique, à l’inverse, la pensée opératoire en est la négation. Là encore, au-delà de son expression clinique, elle influence pour une grande part la psychiatrie athéorique et les cliniciens qui y ont recours. Le vœu pieux, à peine dissimulé est l’espoir d’un cerveau ordinateur. L’histoire du patient n’est plus prise en compte, l’essentiel de la clinique consiste à le « diagnostiquer » à l’aide d’échelles de comportement. Bien qu’elles aient été « validées », elles ne sont pas adaptées à leur objet d’études : elles confondent psychopathologie et déviations sociales ; elles supposent des réponses binaires, excluent de ce fait l’ambivalence pourtant au cœur de la pensée comme de l’affectivité des hommes, postulent que les réponses ne sont pas influencées par la relation entre le clinicien et le patient et, enfin, excluent la sexualité dans les facteurs à prendre en compte. Ainsi, pour la dépression, si la perte de l’appétit est à évaluer, celle de la libido ne l’est pas. Les ordinateurs échappent à la bisexualité psychique, en effet, puisqu’ils ne connaissent que des réponses binaires.

Par ailleurs, à l’échelle individuelle, plus le clinicien vieillit moins il rencontre d’hystérie, plus il rencontre de patients paranoïaques qui veulent s’adresser à quelqu’un d’établi pour soutenir leur narcissisme.

Il est souvent affirmé qu’on ne voit plus de « névroses classiques » : pourtant, aussi loin que l’on remonte dans la littérature psychanalytique, on ne retrouve guère de « névroses classiques ». Dès 1895, dans les Études sur l’hystérie, Freud relevait que les cas d’hystérie pure se faisaient rares. Évoquer une « névrose classique », davantage qu’une description clinique, c’est considérer un modèle théorique en relation avec les théorisations structuralistes de la psychanalyse. Ainsi, la « névrose hystérique classique » est rabattue sur la « structure hystérique ». N’étant pas retrouvée dans la clinique, il est plus facile d’affirmer que les patients ont changé plutôt que d’admettre le caractère inadéquat du modèle. L’hystérie n’a rien d’une structure stable, c’est une affection qui, même en l’absence de troubles d’apparence somatique, se manifeste à travers des épisodes critiques.

Freud s’est situé dans le prolongement de Charcot aussi bien lorsqu’il a tenu à présenter aux médecins viennois des cas cliniques d’hystérie masculine que dans sa publication initiale (« Étude comparative des paralysies motrices organiques et hystériques »). Par la suite, s’il a renoncé à définir l’affection par ses signes somatiques, il a souligné l’importance des épisodes critiques. En 1905, dans le compte-rendu de l’analyse de Dora, il en donne une nouvelle définition, tenant pour hystérique toute personne qui, même en l’absence de conversion, présente du dégoût à l’occasion d’une excitation sexuelle.

En ce qui concerne les auteurs non-psychanalystes, deux courants continuent de coexister, aujourd’hui encore. D’un côté, un consensus s’est dégagé en faveur de l’hystérie comme une « maladie par représentations », pour reprendre une expression de Pierre Janet, la discussion portant alors sur le statut de ces représentations : conflit psychique refoulé et conversion pour Freud, dissociation et faiblesse de capacité de synthèse psychique pour Janet, enfin, autosuggestion et simulation semi-consciente pour Babinski. De l’autre, l’affirmation que l’hystérie était une maladie somatique n’a jamais véritablement disparu. Au XXe siècle, les progrès de l’endocrinologie ont conduit à rapprocher l’hystérie d’un trouble hormonal : l’exemple le plus spectaculaire étant celui de la spasmophilie ou tétanie normo-calcique. Cette affection, dont l’endocrinologue Henri-Pierre Klotz (1910-1984) a été le plus éminent propagandiste, a été conçue par son auteur, qui se réclamait du marxisme, comme une contribution au démembrement de l’hystérie traditionnelle pour en proposer une interprétation matérialiste. La spasmophilie répète dans ses symptômes les convulsions relevées dans la tétanie qui, elle, est bien une maladie organique. Observée seulement en France, cette affection, qui a eu son heure de gloire, a été progressivement discréditée et ne fait plus aujourd’hui l’objet de publications académiques, et les patients spasmophiles sont devenus beaucoup plus rares. Cet épisode illustre bien la question de l’évolution des manifestations de l’hystérie en fonction du contexte culturel car, une fois de plus, ce n’est pas la symptomatologie qui a changé, mais bien l’interprétation des signes faits par les médecins. Pour les psychanalystes, les symptômes se rapprochent du contenu manifeste des rêves. Si l’École de la Salpêtrière avait déjà établi que l’accès hystérique était mise en scène d’un rêve, il est revenu à Freud de démontrer que tout rêve est un équivalent d’un accès hystérique assurant dès lors la dimension anthropologique de la psychanalyse. Nous sommes tous hystériques puisque nous rêvons tous !

En dehors de la spasmophilie, les crises pseudo épileptiques restent fréquentes. Ce ne sont pas les seules expressions somatiques repérables de l’affection. Voici quelques années plusieurs enquêtes en milieu hospitalier établissaient qu’entre 20 et 40 % des patients présentaient des troubles se rattachant à l’hystérie. Les conséquences en termes de coûts de santé publique sont considérables dans la mesure où ces patients sont des « malades à gros dossiers » multipliant les investigations et les hospitalisations à visée diagnostique avant que leurs médecins, dépités, les rejettent avec la plus vive énergie à la hauteur de celle qu’ils avaient déployée pour les convaincre d’entrer dans un protocole de recherche. Cette relation transférentielle très particulière explique la réticence des patients à admettre qu’ils sont atteints d’un trouble psychique alors que le pronostic est infiniment plus favorable que celui d’une maladie génétique rare.

Les moyens de communication modernes (presse, télévision et Internet) contribuent à propager des épidémies hystériques à un niveau jamais atteint jusque-là. Des témoignages sont régulièrement présentés à la télévision comme sur les réseaux sociaux. Les groupes de malades, s’ils aident dans certains cas, favorisent des identifications hystériques par ailleurs. Le psychanalyste retrouve dans le champ public ce qu’il recueillait naguère dans la confidentialité de son cabinet. Les syndromes médicaux inconnus, les récits d’abus sexuels, la bisexualité aussi bien que l’emprise sont devenus des enjeux politiques majeurs difficilement compréhensibles en l’absence de références psychanalytiques. Il est impossible, tant elles sont nombreuses, de recenser de façon exhaustive les formes contemporaines de conversion.

Parmi les nouveautés, on peut citer les « électrosensibles » (qui ne supportent pas les ondes de téléphone), le syndrome de fatigue chronique, certaines formes de fibromyalgie, des personnes qui se reconnaissent dans le Covid long, toutes affections qui ont comme caractéristiques d’avoir les symptômes les plus déconcertants et l’absence totale de traduction biologique identifiable.

Je fais un aparté. En conclusion de la théorie de l’Évolution, Darwin a décrit une douzaine d’émotions fondamentales qui, à l’exception d’une seule, le sanglot – spécifique à l’être humain – sont communes à toutes les espèces animales. Elles comportent à la fois une dimension psychologique et une dimension biologique se traduisant par des mouvements du corps. L’émotion a une fonction, et elle a un sens, car elle est une modalité de communication : celui qui tressaille de peur avertit en même temps ses semblables de l’existence d’un danger. C’est enfin un mécanisme de défense : ressentir la peur nous incite à nous dégager de la situation difficile. Darwin décrit ainsi trois mécanismes de formation des émotions : l’habitude utile, dont je viens de parler, par exemple reculer devant le danger ; l’antithèse, c’est-à-dire faire le mouvement opposé – l’exemple qu’en donne Darwin est particulièrement intéressant : lorsqu’une mère est au chevet de son enfant mort, elle s’agite dans tous les sens comme si, par cette agitation, elle contrebalançait le sentiment d’impuissance – et enfin ce qu’il appelle « l’excitation générale du système nerveux » : quand un cheval n’avance pas, on le fouette et il repart. En somme, les émotions constituent un système de communication à douze tons. Chez les animaux, les émotions sont un système de communication immédiat : les zèbres fuient devant le lion. Ces mécanismes de formation des émotions se retrouvent dans ceux de la conversion hystérique qui est, nous le savons, un mécanisme de défense contre l’angoisse car, dans l’espèce humaine, les émotions ne sont plus liées uniquement au danger actuel mais peuvent être la réactivation d’expériences passées refoulées.

Si, aujourd’hui comme hier, la « grande hystérie » de Charcot et Richer est exceptionnellement observée en tant que telle, néanmoins, elle représente le « type » de l’affection, c’est-à-dire que sa description contient l’ensemble des formes cliniques aiguës. Anecdotique en pratique, son importance théorique est essentielle.

Rfp : N’est-ce pas parce que la crise hystérique décrit une processualité ?

SL : La « grande crise hystérique » dans son déroulement, c’est le moment où l’affect se transforme en parole. Quand celle-ci émerge, les symptômes disparaissent. En séance d’analyse, le processus est similaire : au moins transitoirement, la parole affectée soulage et permet d’atteindre les couches plus profondes du psychisme. Dans les civilisations qui valorisent les transes, alors que la transe spontanée est un accès hystérique ordinaire, les sujets sont progressivement éduqués pour ne présenter au bout d’un certain temps que des « transes baptisées ». D’une certaine manière, la psychanalyse est aussi « une transe baptisée ». La parole allongée sur le divan, c’est la parole du sujet qui est tombée à terre. C’est pour cela que je propose de dire que l’hystérie, ce n’est pas un saut mystérieux du psychique dans le somatique, mais bien plutôt une chute du psychique dans le langage. Ce que Freud décrit comme étant les langues primitives (un même mot peut avoir deux sens opposés) est quelque chose que nous retrouvons dans la formation des symptômes de conversion hystérique.

Ce que j’ai essayé de décrire, c’est une hystérie en 2e topique, pas seulement le passage de l’inconscient à la parole, le sens d’un symptôme précis et limité, mais bien un destin de la pulsion qui part du bas du corps, qui part du ça et qui monte à travers le moi sous le contrôle du surmoi pour prendre la tête. La deuxième topique permet de mieux rendre compte des accidents paroxystiques de l’hystérie et pourrait être ainsi écrite : « Le Cul, le Corps et la Pensée », ce qui correspond également à une description de l’accès hystérique.

Freud a détruit le manuscrit de la métapsychologie consacré à l’hystérie. Nous pouvons le regretter, mais en réalité il n’aurait pas pu ne pas le détruire puisque l’opération méta est une façon de ramener tout trouble psychopathologique à une affection hystérique. Le destin de la pulsion répète celui de la conversion : il y a quelque chose qui part du ça, qui est effectivement chargé de motions pulsionnelles et qui va se transformer en langage ou pas. Le destin des pulsions est en grande partie celui de l’accès, qui est subsumé dans un modèle plus large. On a beaucoup reproché à Freud son modèle hydraulique du psychisme, mais c’est le modèle thermodynamique qui est la force pulsionnelle de l’hystérie. Freud suit ce modèle quand il évoque une personne dont l’excitation sexuelle engendre plus de dégoût que de plaisir pour lui-même : il décrit alors sur le plan psychique un accès qui monte du génital et arrive à la bouche avec une inversion de l’affect. Le point de départ ultime, c’est le cri de l’enfant face à l’intrusion anale lors des soins maternels : toutes les zones érogènes sont convoquées et reliées dans une vision assez large de l’accès. Ça part d’en bas pour traverser le corps et monter à la tête. Si cela ne peut pas se mettre en mots, le sujet s’évanouit, tombe à terre et c’est une crise.

Rfp :  Vous seriez donc assez d’accord pour dire que la psychanalyse est une théorie de l’hystérie ?

SL : Absolument. Le véritable problème de l’analyse est de savoir s’il est utile d’étendre cela à toutes les affections psychopathologiques. Par exemple, si on prend un modèle lacanien, dire que l’enfant est le symptôme des parents, c’est une vision qui vient de Babinski, à savoir que l’hystérie est dans la tête du médecin. C’est parce que le parent a désiré ceci que l’enfant est comme cela. Si ce modèle a sa pertinence dans les névroses, il n’est pas sûr que ce soit vrai dans les autres conjonctures que nous rencontrons chez l’enfant. Et d’autre part, un autre problème se pose qui est lié à la psychologie du moi, car il y deux façons d’écouter les patients « limites » en analyse. Soit ne pas interpréter au risque d’attendre indéfiniment la « névrotisation », soit interpréter au niveau du noyau névrotique (et hystérique d’ailleurs) dans l’espoir que la névrotisation surviendra à partir de là. En fait, il est beaucoup plus facile de se considérer comme une bonne mère ou un bon père qui va réparer l’enfant que de se confronter à quelqu’un qui va actionner la dialectique de la castration. J’avoue avoir été perplexe devant certains travaux de Winnicott, car il ne donne aucun élément permettant de différencier la crainte de l’effondrement de l’accès hystérique.

Green lui-même après avoir tenté de limiter la place de l’hystérie au profit des états limites, est revenu sur sa position dans ses derniers travaux en faisant de l’état limite un cas particulier d’hystérie. Peut-être que le mot renvoyait à un aspect péjoratif du féminin, et qu’il fallait l’éliminer, mais je crois surtout que c’est à cause de la tradition anglo-saxonne qui ignorait l’hystérie. Nous sommes ici dans un contresens total puisque la vision très péjorative de l’hystérie ne vient pas de la psychanalyse. Les portraits que Freud fait de ses patientes dans les Études sur l’hystérie ou le cas de Dora en sont la preuve : il décrit toujours ses patientes comme des femmes remarquables, et se moque des descriptions antérieures des aliénistes français qui ont dressé des tableaux très négatifs de l’hystérie en tant que femmes capricieuses, porteuses de dégénérescence et de folie. Le travail de Freud a été de réhabiliter les gens qui étaient rejetés. Un très mauvais procès est fait à Freud sur ce point qui finalement était extrêmement féministe pour son époque. Par ailleurs, dans Analyse avec fin et analyse sans fin, ce qui rend l’analyse infinie, c’est en fait le refus du féminin. Ce refus du féminin, c’est aussi ce qui est en jeu dans la crise hystérique : le patient se met en arc de cercle lors de la phase qui précède justement le moment où il va parler. Tant que le patient est en arc de cercle il ne parle pas, il phallicise son corps, et au moment de parler, l’arc de cercle disparaît.

Pendant longtemps, la psychanalyse a voulu se calquer sur la psychiatrie pour des raisons évidentes, à savoir que beaucoup de psychanalystes travaillaient dans des institutions psychiatriques et donc qu’il fallait trouver des réponses psychanalytiques à des problèmes psychiatriques. Cette vision mécaniste de la psychiatrie a montré que le champ de la psychanalyse était ailleurs. Il y a eu des erreurs, en particulier lorsqu’on a cherché à donner à des conduites complexes une interprétation unique. L’exemple de l’hystérie montre qu’un même symptôme – mais c’est vrai de tous les symptômes – peut revêtir différents sens au cours de la trajectoire du patient. Quand nous interprétons une conversion hystérique, elle persiste et prend un sens différent. Un étudiant par exemple qui échoue malgré lui à ses examens peut renvoyer à plusieurs sens : il a peur de rentrer dans la vie adulte, et donc échouer peut être une bonne solution ; il a un mouvement agressif à l’égard de ses parents et les punit en se punissant ; il peut aussi être troublé par le contenu des enseignements et avoir une obtusion intellectuelle.

Rfp : La contagion chez les adolescents, par le biais de l’identification hystérique est aussi un mécanisme très important.

SL : Oui, à l’adolescence le groupe de pairs va prendre une importance décisive avec la mode, les expressions manifestes. Cela a toujours existé, mais ce qui est nouveau aujourd’hui, est que les mécanismes d’identification hystérique ne se limitent plus à une salle de classe, d’hôpital ou au cloître d’un couvent, comme c’était le cas dans les descriptions classiques. C’est pourquoi il n’est pas toujours facile de percevoir cette identification. Ainsi, il y a bien longtemps, une jeune fille souhaitait devenir chanteuse. S’il était possible de s’interroger sur différents aspects symboliques du chant, j’ai préféré lui demander quelles étaient ses raisons. Elle a répondu qu’elle voulait chanter l’amitié entre les peuples. Ce faisant, elle s’identifiait à ses parents, militants pacifistes actifs. Le chant s’adressait donc avant tout à ces derniers.

Rfp : Dans un article vous soulignez le caractère péjoratif du terme d’hystérie. Pensez-vous que l’usage du mot aurait suivi l’évolution du regard que porte le socius sur le féminin ?

SL : C’est une question qui dépasse un peu le cadre de mes compétences. J’ai connu des féministes historiques des années 1970, et me souviens d’avoir assisté à un colloque du MLF à la Mutualité avec « Vive l’hystérie » écrit en banderole. C’était un mouvement qui considérait qu’il fallait revendiquer la sororité, lequel revendiquait même être un mouvement de sorcières. À l’opposé, d’autres pensent que le mot est très péjoratif, conçu pour tout ce qui peut leur être attribué de manière péjorative. Aux États-Unis, on a proposé de remplacer le terme d’hystérique par histrionique, personnellement je préfère que l’on me reconnaisse une part de féminin en me désignant « hystérique » que comme quelqu’un qui fait n’importe quoi, c’est-à-dire un histrion. Mais il y a plusieurs sens. Chaque fois qu’il y a un match de foot, le commentateur commence par dire « l’ambiance ce soir frise l’hystérie », on ne sait jamais ce que ce serait si elle était atteinte, avec l’idée qu’il s’agit d’une réaction démesurée et infondée, ce qui rejoint la vision péjorative du féminin. Il y a aussi cela dans la psychiatrie athéorique, qui consiste à changer sans arrêt le nom des affections sous prétexte d’éviter la stigmatisation, ce qui est une façon de dire que la souffrance vient toujours des autres et pas de soi, mais ça permet d’éliminer beaucoup de travaux. Si on dit TNF, les travaux psychanalytiques sont totalement rayés et cela donne l’impression de repartir à zéro avec l’espoir de trouver des processus cérébraux spécifiques, des crédits de recherche alors que les théories psychanalytiques de l’hystérie n’ont jamais été réfutées. Nos adversaires se contenant de dénoncer, non sans jubilation, de prétendues erreurs de diagnostic. Or, contrairement aux « espoirs », les progrès des techniques d’imagerie ont remis en cause de nombreux diagnostics d’organicité. Il est de plus en plus fait mention aujourd’hui de « syndromes médicaux inexpliqués ».

Rf: Alors, pour conclure, l’hystérie de conversion a-t-elle disparu ? Et le cas échéant, en quoi se serait-elle convertie ?

SL : À mon avis elle n’a pas disparu, et je crois que l’on a tort de lier cela aux phénomènes sociaux. Les symptômes sont toujours les mêmes, une paralysie est une paralysie, une anesthésie est une anesthésie, avoir des vapeurs, la tête qui tourne, se pâmer, avoir un trouble de pensée, oublier quelque chose, refouler, c’est toujours la même chose. Ce qui change en réalité, c’est le regard que portent les cliniciens sur les symptômes. Il suffit d’allumer la télévision, de regarder sur Internet pour voir des témoignages en permanence, de l’hystérie partout et toujours, des choses extraordinaires, des gens qui défient la science avec des maladies inconnues. Je dirais que cela c’est le discours manifeste, un effet de groupe, mais quand nous écoutons les patients, nous retrouvons les mêmes composantes de refoulement des représentations trop angoissantes. Il y a beaucoup moins de variations culturelles dans l’expression des symptômes qu’on ne le dit. Ce qui est culturel, c’est l’interprétation qui en est faite : les mêmes mécanismes, par exemple, ont été perçus parfois comme des signes d’alliance avec le diable, de possession ou au contraire comme des signes d’élection : entre la sainte qui se pâme et la sorcière qui persuade les hommes qu’ils ont perdu leur pénis, il n’y a pas de grande différence, et c’est la culture qui détermine cela. Toute hystérie est une hystérie de culture. Actuellement, les théories cognitives de l’hystérie cherchent à appliquer à l’hystérie un modèle préalable, extérieur, avec un paradigme culturel dominant. La psychanalyse est une exception, car c’est la seule discipline scientifique née de l’écoute des patients hystériques alors que les autres modes d’interprétation des symptômes reposent sur l’application d’un paradigme culturel dominant pour interpréter les signes.

En tant qu’analystes, nous n’abordons pas ces questions avec des idées préconçues mais nous observons des faits, nous proposons des interprétations qui apportent des mutations. Nous pouvons tout à fait essayer de quantifier, de mettre en place des protocoles, ce qu’avait fait Jung, à l’époque où il était psychanalyste, avec le test sur l’associativité à l’origine des tests projectifs : mais ce qui l’intéressait n’était pas tant la réponse que la trajectoire qui conduisait à la réponse. La clinique psychiatrique contemporaine ne s’intéresse plus à la trajectoire mais directement à la réponse, et donc plus du tout aux chaînes associatives, ni aux répétitions. Même s’ils se parent du vernis de la scientificité, les travaux d’auteurs cognitivistes n’échappent pas à la pensée magique. Ainsi, il est souvent fait allusion aux big five, cinq traits de personnalité suffisant à définir une personne. Même s’ils semblent avoir été validés scientifiquement, les big five sont les cinq doigts de la main. Dans les civilisations méditerranéennes, où l’on vit sous la crainte du mauvais œil, la main aux cinq doigts étendus, la main de Fatma, la Khamsa a une fonction de protection magique contre ce dernier. L’hystérie serait-elle une forme de mauvais œil dont il suffirait de ne pas parler pour en être prémuni ?