La Revue Française de Psychanalyse

Freud dans le texte

Freud dans le texte


JE TRAVAILLE COMME UN JEUNE HOMME

Dans ces trois textes de mai 1897, Freud lie formations intermédiaires et sublimations.


Vienne, 2 mai 1897
Cher Wilhelm,

Reçu entre-temps carte et télégramme et regretté que le congrès[1] ne t’ait pas apporté ce qu’il m’a apporté à moi-même, rajeunissement et vigueur nouvelle. Depuis, je suis dans une euphorie continuelle et je travaille comme un jeune homme. Comme tu le devineras à partir de ce que je t’ai joint[2], mes acquis se consolident. Je suis d’abord arrivé à me faire une idée sûre de la structure d’une hystérie. Tout se ramène à la reproduction des scènes. Les unes peuvent être obtenues directement, les autres seulement en passant par des fantaisies placées devant. Les fantaisies proviennent de ce qui a été entendu et compris après coup, bien sûr elles sont vraies dans tout le matériel qui les constitue. Elles sont des constructions de protection, des sublimations de faits, des embellissements de ceux-ci, elles servent en même temps à l’auto-soulagement. Elles proviennent peut-être, accidentellement, de fantaisies d’onanisme. Une seconde découverte importante me dit que la formation psychique qui est frappée par le refoulement dans l’hystérie n’est pas faite à proprement parler de souvenirs, car aucun être humain ne s’adonne sans raison à une activité de souvenir, mais d’impulsions qui sont dérivées des scènes originaires. J’ai maintenant une vue d’ensemble des trois névroses, l’hystérie, la névrose de contrainte et la paranoïa, qui toutes mettent en évidence les mêmes éléments (en plus de la même étiologie), à savoir des fragments de souvenirs, des impulsions (dérivées de souvenirs) et des fictions de protection, mais la percée jusqu’à la conscience, la formation de compromis, donc la formation de symptôme, se produit dans chacune d’elles à un endroit différent ; dans l’hystérie ce sont les souvenirs, dans la névrose de contrainte les impulsions perverses, dans la paranoïa les fictions de protection (les fantaisies), qui au moyen d’une déformation de compromis se fraient un chemin pour arriver dans le normal.

 

[Manuscrit L]

Architecture de l’hystérie

Le but semble être d’atteindre les scènes originaires. On y parvient directement pour quelques-unes, pour d’autres seulement par des détours, en passant par des fantaisies. Les fantaisies sont en effet des constructions psychiques avancées qui sont élevées pour barrer l’accès à ces souvenirs. Les fantaisies sont en même temps au service de la tendance à épurer, sublimer les souvenirs. Elles sont produites au moyen de choses qui sont entendues et utilisées après coup, et elles combinent ainsi ce qui a été vécu et ce qui a été entendu, ce qui est passé (tiré de l’histoire des parents et des grands-parents) avec ce qui a été vu par la personne elle-même. Elles ont avec ce qui a été entendu le même rapport que les rêves avec ce qui a été vu. Car en rêve on n’entend rien, mais on voit.

 

Rôle des bonnes

Du fait de l’identification à ces personnes de basse moralité qui sont si souvent remémorées comme un matériel féminin sans valeur ayant des relations sexuelles avec le père et le frère, il est possible [pour l’hystérique] de s’accabler de reproches innombrables (vol, avortement), et par suite de la sublimation de ces filles dans les fantaisies, ce sont alors des accusations très invraisemblables contre d’autres personnes qui sont contenues dans ces fantaisies. Renvoient aussi aux bonnes l’angoisse de la prostitution (être seule dans la rue), la peur de l’homme caché sous le lit, etc. Il y a une justice tragique dans le fait que la condescendance du maître de maison envers la servante est expiée par l’auto-rabaissement de la fille.

 

© Lettres à Wilhelm Fliess, 1887-1904, Paris, Puf, 2006, p. 303 et 305.

 

[1] Freud nomme ainsi les rencontres avec Fliess.

[2] Voir manuscrit L ci-dessous.