La Revue Française de Psychanalyse

Freud dans le texte

Freud dans le texte

FREUD DANS LES TEXTES | Numéro 2021-4 Cris et chuchotements

L’expérience vécue de satisfaction

Lettre à Wilhelm Fliess, Chap. 11 : 625-627, Paris, Puf, 2006.

Le remplissage des neurones nucléaires en ψ aura pour conséquence une propension à l’éconduction, une poussée urgente qui se décharge en direction d’une voie motrice. D’après l’expérience, c’est alors la voie menant à la modification interne (expression des émotions, cris, innervations vasculaire) qui est empruntée en premier. Mais toute éconduction de ce genre n’aboutira pas à un délestage, ainsi que nous l’avons exposé au début, puisque la réception du stimulus endogène persiste néanmoins et rétablit la tension ψ. La suppression du stimulus n’est ici possible que par une intervention qui élimine pour un moment la déliaison-Qή à l’intérieur du corps, et cette intervention exige une modification dans le monde extérieur (introduction de nourriture, proximité de l’objet sexuel), celle-ci ne pouvant se produire en tant qu’action spécifique que par des voies déterminées. L’organisme humain est tout d’abord incapable d’amener l’action spécifique. Cette action se produit au moyen d’une aide étrangère, quand une personne ayant de l’expérience est rendue attentive à l’état de l’enfant du fait de l’éconduction qui emprunte la voie de la modification interne. Cette voie d’éconduction acquiert ainsi une fonction secondaire extrêmement importante, celle de se faire comprendre, et le désaide initial de l’être humain est la source originaire de tous les motifs moraux.

Quand la personne qui apporte son aide a effectué dans le monde extérieur, pour la personne en désaide, le travail de l’action spécifique, cette dernière est en mesure, au moyen de dispositifs réflexes, d’accomplir directement, à l’intérieur de son corps, l’opération nécessaire à la suppression du stimulus endogène. L’ensemble constitue alors une expérience vécue de satisfaction, qui a les conséquences les plus décisives pour le développement fonctionnel de la personne. Il se passe en effet trois sortes de choses dans le système ψ. 1. Il s’opère une éconduction durable et il est mis ainsi fin à la poussée urgente qui avait engendré du déplaisir en ω, 2. Survient dans le pallium l’investissement d’un neurone (ou de plusieurs neurones), qui correspond à la perception d’un objet, 3. En d’autres points du pallium arrivent les informations relatives à l’éconduction du mouvement réflexe déclenché qui se rattache à l’action spécifique. Il se forme alors un frayage entre ces investissements et les neurones nucléaires.

Les informations relatives à l’éconduction réflexe se produisent du fait que chaque mouvement, par ses conséquences annexes, est l’occasion de nouvelles excitations sensitives (de la peau et des muscles), qui ont pour résultat en ψ une « image de mouvement ». Le frayage se forme cependant d’une façon qui permet d’avoir une vue plus pénétrante du développement de ψ. Jusqu’ici nous avons pris connaissance de l’influence exercée sur les neurones ψ par φ et par les conductions endogènes ; mais les différents neurones ψ étaient coupés les uns des autres par des barrières de contact pourvues de fortes résistances. Or il y a une loi fondamentale, l’association par simultanéité, qui est à l’œuvre lors de la pure activité ψ, lors de la remémoration reproductive, et qui est le fondement de toutes les liaisons entre les neurones ψ. L’expérience nous apprend que la conscience, donc l’investissement quantitatif d’un neurone ψ α, passe à un second, β, dès lors que α et β ont été investis simultanément à partir de φ (ou d’ailleurs). Une barrière de contact a donc été frayée par l’investissement simultané de α et β. Dans les termes de notre théorie, il s’ensuit qu’une Qή venue d’un neurone passe plus facilement dans un neurone investi que dans un neurone non investi. L’investissement du second neurone a donc le même effet que l’investissement plus fort du premier. L’investissement s’avère ici une fois encore équivalent au frayage pour le cours-Qή.

Nous prenons donc connaissance ici d’un second facteur important concernant la direction du cours-Qή. Une Qή dans le neurone α n’ira pas seulement dans la direction de la barrière la mieux frayée, mais aussi dans celle de la barrière investie du côté opposé. Les deux facteurs peuvent se soutenir l’un l’autre ou éventuellement agir l’un contre l’autre.

Du fait de l’expérience vécue de satisfaction, un frayage a donc lieu entre deux images mnésiques et les neurones nucléaires qui sont investis dans l’état de poussée urgente. Avec l’éconduction de satisfaction, la Qή s’écoule sans doute aussi à partir des images mnésiques. Avec la réapparition de l’état de poussée urgente ou de souhait, l’investissement passe aussi aux deux souvenirs et le vivifie. Sans doute est-ce l’image mnésique de l’objet qui est tout d’abord touchée par la vivification du souhait.

Je ne doute pas que cette vivification du souhait a tout d’abord le même résultat que la perception, à savoir une hallucination. Si là-dessus l’action réflexe est enclenchée, il ne manquera pas d’y avoir de la déception.